On ne va pas attendre le retour du cerveau pour commencer cette élégie. Il risque de tarder le pauvre…
On ne va pas attendre le retour du cerveau pour commencer cette élégie. Il risque de tarder le pauvre…
De 2020, les livres d’histoire retiendront peu de choses, peu d’accomplissements, c’est une année de vacance et de vacances, c’est l’année où tout le monde a été mis en prison, sans procès, ni crime, de manière arbitraire. On vit dans des villes dont les chats de gouttières et les chiens errants ont hérité pendant de longues semaines, comme une sorte de commentaire sardonique et féroce de cette mère nature qui passe la quatrième vitesse pour rappeler qui est le boss. On s’est rendu compte à quel point on est coincés sur un caillou coloré, comme une pierre ponce sur les rivages de la voie lactée, où les choses peuvent devenir sérieusement étriquées, avec ce sentiment d’insécurité des premiers âges de l’humanité. J’imagine que les étoiles, les trous noirs et les autres créatures du vaste univers en expansion se sont bien gondolés à nous regarder revenir à nos grottes, la peur au ventre, dans cette caverne platonique, où Netflix a remplacé les ombres projetées sur le mur pour empêcher les gens de devenir fou et de commencer à se défénestrer s’ils ont la chance d’habiter au-delà du troisième étage dans ce monde au bord du précipice.
Il est encore loin le cerveau ?
Continuons…
Soudainement on a perdu un truc un peu débile, légèrement suranné et totalement pris pour acquis : la liberté. La peur et l’anxiété ont lâché leur pollen un peu partout et le monde est devenu une galerie de masques ambulants et d’yeux hagards. Qu’a-t-on fait de notre rêve d’espace ? À quel moment la science, qui a toujours été en guerre contre l’hostilité du monde, depuis qu’un pauvre hère a été cramé sur un tas de préjugés pour avoir révélé que la terre est ronde, cette pauvre science a-t-elle cessée de chercher la fontaine de jouvence, le secret de l’éternité pour s’acharner à sortir des générations et des générations de smartphones, d’ordinateurs, de générations de WiFi… ? Qu’a-t-on fait de notre d’exploration de l’univers ? Pourquoi n’a-t-on pas pris le dernier métro pour les étoiles au lieu de rester coincé sur cette station périphérique à la merci d’un tueur en série microscopique, comme dans un film fauché des années 80 ? Elles sont où les voitures volantes, les colonies dans les autres planètes, les vaisseaux interplanétaires qui explorent les recoins les plus lointains de l’univers ?
Noyés dans des guerres de cartes et de territoires, de pétrole et de pouvoir, on s’est pris encore une fois pour le nombril du monde en saccageant notre joli caillou, mais ce qu’il faut savoir, c’est que les cailloux, comme les chameaux, ils ont la rancune tenace, et mère nature a fait son Léviathan pour rappeler qui c’est le boss dans cette quête biblique/coranique/talmudique. Le Léviathan n’avait pas besoin de faire bouillonner les océans, il s’est contenté de lâcher son plus minuscule agent, un peu comme dans la fin de La Guerre du Monde de H. G. Wells, où les extraterrestres sont battus par un microbe. Ironie, rires en playback. Toute tragédie racontée une deuxième fois mute en farce et déverse sur le monde sa soupe à la grimace…
On ne sait pas si le cerveau va se pointer ou pas, mais on peut continuer notre réunion entre nous, Les Organes Vitaux, probablement, on est probablement moins nobles mais plus aptes à comprendre le principe de survie.
Oui, soudain, quitter notre planète a cessé d’être une ambition, notre race a pris son congé pour devenir un sympathique rentier, aux jours mornes passés la nuque courbée religieusement sur un quelconque écran de smartphone ou de tablette, subissant les vagues incessantes de Data majoritairement inutiles. Qu’a-t-on à faire de notre rêve d’éternité ? N’importe quel titre d’un roman de J.-G. Ballard peut décrire cette transition, cette déchirure dans le tissu de l’histoire, de l’époque : La Région Du Désastre ! Crash ! La Foire des Atrocités ! Millenium People ! Que notre règne arrive ! Quelle marche a été ratée pour qu’on se retrouvent coincés chez nous pendant des mois, assignés à résidence comme de vieux criminels ? C’est à la fois improbable et mirifique, la magie des mondes qui changent indubitablement pour glisser vers le futur en remettant le statu quo capitalistique, politique en question.
Il est parti où notre cerveau ?
Comment a-t-on pu se faire avoir à ce point ? La seule consolation, maintenant que des milliards de milliards de dollars se sont volatilisé à cause de cette année blanche et sèche : le capital fera plus attention, mettra la ceinture de sécurité et ce qu’il faut comme investissement dans la science pour ne plus se laisser déborder… telle est la morale de cette fable !
Et ce cerveau ? il a été si maltraité, calomnié, trainé dans la boue, mis en sous-régime, désactivé, qu’il a décidé de bouder et briller par son absence. Voilà pourquoi cette élégie est une histoire du monde Arabe et de l’Afrique.
Au Maroc, comme ailleurs, on paye les erreurs et la mauvaise foi politique d’une école volontairement médiocre, d’une éducation qui exclut le civisme, d’une population qui a pris l’habitude d’être assujettie plutôt que responsabilisée en tant que citoyen. Résultat : la population a paniqué au lieu de chercher à comprendre, la superstition a traversé les carapaces les plus épaisses, la fragilité des infrastructures s’est révélée dans son plus simple appareil et le spectacle n’est pas très beau à voir. On a négligé l’éducation, on a négligé les arts et la culture et du coup, on se retrouve dans un pays zombifié, qui fait la course vers les supermarchés de manière pavlovienne pour acheter du papier toilette et de la farine. Un peuple qui doit apprendre à faire la queue et déserter les terrasses de café. On finira par trouver le vaccin messianique et je suis dans le certitude qu’on va reprendre le cours morne de nos vies, comme en 14. On parlera de l’année 2020, comme on parle de l’année de la famine, du bon de rationnement, de la sécheresse, ou de la peste noire : un lointain souvenir qui ressemble à un mauvais songe. Et même la farce aura perdu de son méphistophélique mordant.
En fin de compte, on est en train d’enterrer le cerveau et il était temps de s’en rendre compte.
Amen.
Stinger post-générique à la mode Marvel.
Une solution ?!
Ah oui, une école qui ressemble à une… école !